Quelques commentaires sur les exercices cosmogoniques

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Quelques commentaires sur les exercices cosmogoniques

Univers en formation

J’ai d’abord fait une première série de cinq œuvres portant ce titre en 2007 (exposée à la Galerie Métanoia), puis j’ai repris cette série de façon plus approfondie récemment (depuis 2011).
Le terme exercice est à comprendre comme une ascèse, un exercice spirituel. Un exercice qui requiert à la fois de la discipline et de l’ouverture. Discipline : le travail en série avec la même technique (aquarelle) et la même idée de départ. Ouverture : jouer à créer un univers.  
Le terme cosmogonique renvoie à l’idée de la création d’un univers : c’est un univers en train de se créer qui est présenté, il n’a pas encore pris encore de forme définitive (idée renforcée par celle d’exercice, c’est un exercice « ce n’est pas pour de vrai » comme disent les enfants). C’est un mouvement vers un monde.  
Cette idée de « monde » est centrale dans mon travail, car nous sommes tous, sans cesse, à chaque instant, en train de créer un monde : comme l’a dit le Bouddha; « avec nos pensées nous créons le monde ». Comment cela ? 
Notre esprit est sans cesse à l’œuvre pour nous dire que le réel c’est ceci ou cela. Nos pensées, nos jugements, nos émotions, nos habitudes, nos préjugés, etc. travaillent sans cesse à produire une représentation du monde que nous ne voyons pas comme telle, mais que nous identifions comme étant LE réel. C’est ainsi que nous bâtissons des mondes, des cosmogonies, un réel bien (ou souvent mal !) ordonné. Nous créons cela et nous croyons ensuite le découvrir, tout en étant inconscient de ce processus. En ce sens, chacun est artiste. Chacun est créateur de sa réalité, mais est un démiurge le plus souvent malheureux, car ne sachant pas ce qu’il fait et créant de ce fait sa propre souffrance. 
Les exercices cosmogoniques sont directement inspirés de cette réflexion et de cette expérience : ils consistent à produire volontairement un monde imaginaire (de formes, de lignes, de couleurs) en expérimentant en toute conscience le processus de construction de l’illusion afin de mieux le déjouer.

Imaginaire et Réel

Mais qu’est ce que l’imaginaire?  L’imaginaire c’est ce qui n’est pas réel pour le dire très platement. Il y a plusieurs types d’imaginaire : l’écueil me semble être un imaginaire guidé par une subjectivité qui trouverait là matière à exprimer ses phantasmes et son enfer privé, cet imaginaire là est un enfermement. Une autre possibilité est l’imaginaire comme détour du réel, pour mieux révéler le Réel. Cet imaginaire là vient donc contredire les pseudos évidences du « réel » (ce réel mentalement fabriqué comme il a été dit plus haut), jouer avec elles et les mettre en question. C’est ainsi que s’offre la possibilité de découvrir le Réel. Le Réel c’est à dire ce qui nous est donné quand on abandonne un instant nos habitudes pour se relier à ce qui survient dans l’instant de façon vive et ouverte.  Un artiste est quelqu’un qui peut faire de son œuvre l’occasion de cette découverte : son œuvre peut créer une brèche dans la routine de nos perceptions et de nos conceptions et nous offrir un accès au Réel.  
Ainsi, cette série, d’aspect peu réaliste, n’est pourtant pas une plongée dans un monde privé. Elle trouve sa source dans l’attention au Réel : les paysages des exercices cosmogoniques sont inspirés de déambulations dans les centres villes muséifiés, les banlieues kaléidoscopiques et les campagnes désertées. Ces promenades se poursuivent souvent dans mes rêves. Et le chemin continue et prend forme picturale sur le plan de la feuille, avec la ligne et les couleurs. Peindre est une autre façon de marcher dans le Réel. J’avance dans l’espace de la feuille blanche et le découvre neuf à chaque fois.

Un regard ouvert

Ces paysages sont conçus de façon à ce que le regard du spectateur ne se fige jamais : sans cesse le regard passe d’une forme à l’autre, d’une couleur à l’autre. Les éléments figurés sont aussi pris dans ce flux de transformation. La roche immobile, lourde et matérielle peut se transformer en son contraire  la lumière insaisissable, immatérielle. Le paysage est dans état de flux, en train d’apparaître et de disparaître.
Qui habite ces mondes imaginaires où nulle présence humaine ne peut être vue? Le regard et, par là, l’esprit du spectateur. Ces œuvres sont comme des demeures destinées à accueillir le regard qui voudra s’y déposer un instant. C’est le regardeur qui, en l’habitant, en fait un monde : c’est lui qui finit le travail. Lui aussi est ainsi invité à expérimenter sa propre tendance à fabriquer et à habiter des mondes crées par l’esprit. En un sens, l’œuvre, en elle même, n’est pas finie tant qu’elle n’est pas expérimentée par autrui.
En conclusion, je dirais qu’être moderne, c’est faire face au risque du nihilisme et de la perte de sens de notre temps en se tenant dans l’ouvert. Dans l’ouvert, c’est à dire dans une attitude d’écoute du Réel dans sa profondeur et sa richesse infinie. C’est ce que je tente de faire avec ma pratique artistique.

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